PNL - Socialisation de classe - Dans la légende (part 2)
- Lucile
- 23 mars 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 janv.
Socialisation de classe - Groupe d'appartenance vs groupe de référence
Pour cette analyse, je vais m'appuyer non pas sur des psychologues, mais sur des sociologues. La sociologie est, en effet, une discipline que je mobilise régulièrement dans mes recherches. Bien qu'il s'agisse ici d'une analyse faite avec un regard de psychologue.
Après un premier succès de leur album « Le monde chico », Ademo et NOS aperçoivent enfin une porte de sortie, une lumière dans leurs ténèbres. Le rap va peut-être leur permettre de fuir ce milieu qui les faits tant souffrir. Le but de ce deuxième album est de confirmer l’essai pour enfin entrer « dans la légende ».
Y’a le buzz, tant qu’il est chaud on bat le fer (…)
J’vois ma haine sur la balance, je dois rentrer dans la légende
Terrain j’te laisse, fini de vendre, bientôt on rentre dans la légende
Selon Bourdieu (1980), la socialisation de classe va pousser le sujet à adopter, de manière inconsciente, des habitudes et comportements propres à sa classe sociale. C’est le cas chez PNL, non seulement par le langage qu’ils utilisent mais également les moyens utilisés pour s’élever socialement (la vente de drogue puis le rap, propres aux classes les plus populaires). Cependant, il y a une conscience de classe très forte chez PNL et justement une volonté de s’élever socialement pour s’extraire de leur milieu d’origine sur lequel ils ont toujours eu un discours assez critique.
Dans les premiers albums, on a vu le dégoût qu’ils avaient pour ce qu’ils faisaient, ce qu’ils représentaient, pour leur vie et leurs conditions d’existence de manière générale. Et c’est encore le cas ici :
« Vendre, on avait pas envie, car faire le mal te bouffe le ventre »
« La zic j’men bats les couilles »
« Se mentir à soi ou être hypocrite envers Dieu »
L’élévation sociale est vue comme leur véritable porte de sortie pour fuir un milieu qu’ils rejettent :
J’voyage, je filme, je revis (…)
J’sors de la savane, de la jungle, que du soleil
Y’a moins de stress à 6h du mat’
J’veux plus jamais voir l’impasse
On voit les sous venir, je sens quelque chose qui se répare
On connait que le noir, il parait que la lumière existe
La métaphore du noir et de la lumière a été utilisée dans toutes leurs œuvres, le noir représentant leur vie dans la cité, les ténèbres, l’enfer, la grisaille mais également l’aveuglement. La lumière fait partie des symboles de l’ascension sociale (comme l’ascenseur dans les premiers albums), associée au soleil, à la chaleur, à l’apaisement et à la vue retrouvée.
Tout cela pourrait, en apparence, illustrer la pensée de Merton (1997) qui indiquait que l'individu pouvait ne pas s’identifier à son groupe d’appartenance, mais au contraire, dans un processus de « socialisation anticipatrice », s’identifier au « groupe de référence » auquel il souhaite appartenir, en intériorisant les normes et valeurs du groupe qu’il souhaite rejoindre.
Pour Ademo et NOS c’est plus compliqué que ça. S’ils veulent s’élever socialement et « changer de camp » ils ne veulent en aucun cas adopter les codes du groupe qu’ils visent. Bien au contraire… et c’est tout le sujet de ce deuxième album.
Ils vont, dans un premier temps, tracer une frontière nette entre eux et les personnes qui n’ont pas grandi comme eux :
On a pas la même vie, mes cauchemars ne deviendront pas tes chaines
On se ressemble pas, on se ressemblera jamais
Dans un premier temps, ils expliquent que ces différences ont pour conséquence que les autres ne les comprennent pas. Si le précédent album était une présentation de leur vie, souvent rédigée de leur(s) perspectives, avec l’usage du « je » et du « on », ici à l’inverse ils vont beaucoup plus s’adresser à l’auditeur en utilisant le « tu » et en multipliant les phrases comme « tu sais pas » ou « tu sais rien ».
On a shlassé, tiré, vendu pour manger, tu sais rien
Fuck vos interview, j’aurai pu passer dans vos reportages de chiens
Ici on comprend mieux leurs refus de donner des interview, leur repli sur eux-mêmes et leur mantra « QLF ». Ils ne veulent pas se mélanger à ceux qui ne les comprennent pas, voir les méprisent.
Ils ont effectivement toujours refusé la moindre interview. Mais Ademo profite ici d’une chanson pour écrire une auto-interview, qui sert, ici encore, à montrer le fossé entre eux et les autres, ceux qui n’ont pas grandi comme eux.
Ademo se met à la place d’un interviewer qui ne comprend pas leur vécu et qui poserait donc les questions suivantes :
- Hé Tarik comment tu vas ?
- Ça va, comme tous les jours j’ai le démon, faut tempérer
- J’vois que t’es bien entouré
- Ouais mais quand j’étais dans le trou, personne, je m’en bats les reins
- T’es sérieux ?
- J’suis sérieux, ouais je leur donnerai ma bite
- T’es sérieux ?
- Ouais QLF ! Pour eux je donnerai ma vie (…)
- Et donc là ?
- Et donc rien, ça me rend pas plus heureux
- Et l’amour ?
- J’en ai pas et je ferai bien plus d’euros
- Hein c’est triste
- Ouais tranquille c’est la vie
- Vraiment triste
- Hé me fais pas comme la psy !
- T’as beaucoup de haine tu sais ?
- Sans ça je serai mort, t’es fou toi
- Eh c’est moi ou tu saignes ?
- J’saigne pas, regarde j’rigole, t’es fou toi
T’façon, j’ai pas besoin d’eux
- Ah bon ? T’as besoin de qui ?
- J’ai ma miff, ouais j’ai Dieu, non j’suis pas de ces harkis
- Il serait temps que tu grandisses
- Tu sais pas toi
- Avant que tes ailes s’enlisent
- J’en ai pas moi
- T’es trop fier
- J’ai que ça, sa mère
Dans cet album, la quête du monde prend une nouvelle signification. Maintenant que leur famille a de quoi vivre, ils veulent, par vengeance, prendre d’assaut ce monde dont l’accès leur a toujours été refusé.
Ils sont toujours « QLF » et ici, leur milieu d’appartenance leur permet de s’opposer aux autres.
Maintenant, ils veulent le monde juste pour l’avoir, pour montrer qu’eux aussi y ont droit et peuvent l’obtenir malgré les barrières qui ont été mises contre eux. Ils communiquent leur mépris pour cette société qui les a rejetés et ils viennent s’emparer du sommet d’un monde qui ne leur était pas destiné.
Ouais on est pas comme eux
Ouais on pisse sur le trône, on repart avec les sommes
J’voulais le monde, aujourd’hui je veux jongler avec
Demain j’lui pisse dessus et je repars sur Namek
Qui peut se traduire par : Ah vous vouliez pas qu’on l’ait ? Et bah on le prend quand-même, de force, que ça vous plaise ou non, on le salit et on se tire.
Ce qui fait écho à cette phrase de NOS :
J’voulais leur donner de l’amour mais ils préfèrent qu’on leur baise leur mère
Il serait dommage de s’arrêter à la seule vulgarité de son propos. Sa phrase est bien plus profonde qu’elle ne le laisse paraître. Ici, il avoue qu’il aurait aimé cohabiter avec les personnes qui sont différentes de lui, il aurait voulu donner de l’amour et en recevoir également. Seulement, ils ont été rejetés de la société. Leur seule issue a alors été de mal agir (en vendant de la drogue), ce qui a provoqué une colère et une envie de vengeance contre ceux qui ne sont pas comme eux. Ici NOS explique que c’est ceux qui se plaignent de leur violence qui en sont les premiers responsables.
La quête du monde devient alors une véritable « guerre » menée entre « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas »
On imagine pas cette vie sans remporter la guerre
La guerre on l’a faite et on la refera
Encore une fois, ils ne se décrivent pas comme ceux qui ont voulu cette guerre, bien au contraire :
La paix on la préfère, on a connu la guerre
Ils se placent, du côté de ceux qui ripostent et ne se laissent pas faire, qui font donc la guerre par nécessité et non pas par choix (la phrase précédente de NOS y fait encore écho) :
Chez moi on dit qu’au fond du trou, jette un homme, il ressort avec une arme
Ils sont donc en guerre contre ceux « d’en haut » qui voudraient les voir rester « en bas ».
J’veux ma villa pour tous les énerver
Tu l’as tant rêvé, mais j’ai pas fini clochard, nananère
Ils pensent que ceux d’en haut les méprisent et souhaitent leur malheur. Ce qui permet d’encore mieux comprendre pourquoi ils veulent se venger, prendre ce qui n’est pas à eux et le salir. Parfois leurs ennemis sont clairement nommés, symboles de figures d’autorité :
Igo on veut la ville, boire le sang du maire
Chez moi, le maire est le nerf de la guerre
Leur envie de vengeance ne se limite pas à s’emparer du monde pour le « salir », ni même à leur mépris. Leurs envies de vengeance se traduisent par des envies de s’en prendre aux autres, physiquement ou psychologiquement. Ils veulent faire souffrir comme ils ont souffert.
Tard la nuit, je traine, en attendant que ma peine se transforme en haine
Comme Papa, j’veux qu’ils nous craignent
Parfois peur de demain, peur de t’ôter la vie
Parce qu’on a grandi et ma haine aussi
Si l’on en revient à Merton (1997), on peut donc voir que parfois, quelqu'un peut vouloir quitter son groupe d’appartenance et rejoindre un groupe de référence pour en obtenir les avantages (ici économiques) mais sans s’y intégrer et sans adopter ses normes et ses valeurs. Au contraire, il s'agit ici d'une attitude de combat des membres du groupe de référence, pour défendre les intérêts et les codes de leur groupe d’origine.
On verra dans le prochain (et dernier ?) album les conséquences et les choix qu’ils ont du faire pour (encore) faire face à ces conflits de socialisation.
En résumé, cet album est un gigantesque règlement de compte, une déclaration de haine et de guerre envers ceux qu’ils pensent responsables de leurs souffrances (celles-là mêmes décrites dans les 2 projets précédents).
Mais comme précédemment, une nouvelle thématique est introduite, et sera approfondie dans le prochain projet :
Cette lumière va partir, et mes rêves en pâtir
Plus je me rapproche du sommet, plus j’entends le ciel qui gronde
Plus je monte, plus j’ai mal
Pour aller plus loin :
Bourdieu, P. (1980). Questions de sociologie. Paris : Les Editions de Minuit.
Merton, R. K. (1997). Eléments de théorie et de méthode sociologique. Paris, A. Colin.
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