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  • Lucile

PNL - Le conflit identitaire - Deux frères (part 3)


« Dans la légende » a bien porté son nom. Le disque s’est écoulé à plus d’un million de ventes et l’intégralité des morceaux sont au minimum certifiés platine, explosant tous les records. Le rap français est à leurs pieds.


Pour symboliser leur ascension et leur réussite, l'album s'ouvre sur « Au DD », clippé au sommet de la Tour Eiffel (qu'ils ont privatisée pour l'occasion). Où on peut les voir, les pieds dans le vide, contempler leur nouveau royaume conquis.


Maintenant qu’ils ont obtenu ce « monde » qu’ils désirent tant depuis le début, que vont-ils en faire ?

En profiter et changer de vie comme ils l’indiquaient dans « Que La Famille » et « Le monde chico » ?

Ou se contenter de savourer leur victoire, de prouver qu’ils pouvaient le faire, pour finalement rejeter leur conquête comme ils le revendiquant dans « Dans la légende » ?

Eh beh c’est plus compliqué que ça et c’est justement tout le thème de l’album : le conflit identitaire.


Hoggart indiquait que le sujet qui s’élève socialement pourra faire l’expérience d’un conflit identitaire car il pourra être partagé entre deux univers incompatibles. Il sera toujours tiraillé entre sa trajectoire sociale qui tend à le détourner de son milieu d’origine et sa socialisation primaire qui se rappelle à lui.

D’autres, comme Beaud et Pialoux, vont parler de socialisation destructrice, dans le sens où le sujet a été détourné de son milieu social d’origine, sans avoir intégré la culture de son nouveau milieu. Et avec PNL on est en plein dedans. Ils ont rejeté leur milieu social d’origine et ils se retrouvent au sommet d’un monde dont ils ne veulent pas non plus. Ils se rendent compte alors qu’ils ne savent plus qui ils sont, ils ne savent plus ce qu’ils veulent, comment se comporter, comment vivre, vers qui se tourner etc…


Je suis ni de chez moi, ni de chez vous


On sait d’où l’on vient sans savoir où on va


Putain mais qu'est-ce qui m'arrive ?

Pourquoi je m'en sors sans vivre ?


Ce tiraillement/rejet entre ces deux « univers », celui d’origine et celui conquis est clairement exprimé tout au long de l’album, ils alternent alors entre envie et rejet.


Concernant leur « vie d’avant » : elle est maintenant parfois enviée :


J’ai envie de rentrer à la maison


Plus je m’écarte de la misère plus je sens que la vérité n’en est pas loin


J’aime trop mon zoo, tu comprends pas, pas le même amour


Et à la fois rejetée car ils se souviennent de pourquoi ils voulaient la fuir :


La pauvreté nous manque pas


Devenir quelqu’un pour exister


C’est la même chose pour leur nouveau « monde »

Qui est à la fois apprécié pour certains aspects :


T shirt Dior, je crois qu’il me manque plus que la vue sur la mer


A travers mes LV je me sens si bien, je me souviens quand j’étais rien


Mais surtout (et c’est tout le propos de l’album) rejeté car ça ne leur correspond pas et ne leur permet pas d’être heureux :


J’veux pas être le roi, je vaux mieux que ça


La lune j’aime plus, je vous la laisse (…)

Sur un nuage de l’enfer, viens on se casse mon frère, avant qu’on se perde


Etre heureux j’y arrive pas

Tout ça c’est pas ma vie


Ici, la conséquence est une souffrance d’une intensité dépassant largement celle des premiers projets qui contenaient pourtant déjà des phrases d’une tristesse absolue.

En effet, si les 3 premiers albums étaient l’expression de leur haine et de leur souffrance, il leur restait tout de même l’espoir de pouvoir s’élever socialement qui les guidait et les animait.

Mais s’ils ont de l’argent, ils ne partagent pas les codes du monde qu’ils ont conquis, ils expriment donc leur désarroi, leur désillusion, leur sentiment d’être maudits depuis le début. Ils le sont d’autant plus qu’ils ont, pour rappel, vendu leur âme au diable pour obtenir ce succès, ayant financé leur musique grâce à l’argent de la drogue.


Est-ce que cette lumière aurait jamais pu naître ?

Ça me sauvera pas, trop tard, je suis plus net


Je voulais ma part de Paradis

Maintenant que j’ai tout pris ça n’a pas suffit


Y’a de la richesse dans nos âmes, de la misère dans nos yeux

On pense qu’on mérite pas les cieux


J’ai grandi dans le zoo, j’suis niqué pour la vie

Même si j’meurs sur une plage j’suis niqué pour la vie


J’ai traversé les frontières

Croyant que mon cœur saignerait moins là bas

J’vais finir par m’y faire

Je serai jamais heureux comme Papa


La vie nous fait pleurer, j’ai envie d’être bête

Ne plus réfléchir, ne plus les pardonner, plus rien dans la tête

Et j’garde toutes mes larmes, des fois mes yeux brillent

J’ai envie d’être vide, ne plus avoir d’âme, redevenir la bête


Toute cette pensée est introduite et synthétisée en 2 phrases dans la chanson d’ouverture de l’album


Je vis dans un rêve érotique où je parle peu mais je caresse le monde

Je meurs dans un cauchemar exotique où la Terre ressemble à ma tombe


Au début ils voulaient, désiraient, rêvaient du monde et commençaient à le caresser (NOS parlait du fait qu’il « caressait timidement la lumière par sécurité »). Maintenant qu’ils ont le monde (la Terre) ce rêve se transforme en cauchemar voir en tombeau face à la désillusion de la réalité.


Et sinon vis-à-vis de leurs relations aux autres, ça a évolué ? Eh bien oui, finalement on dirait que le fait d’avoir réussi à conquérir le monde a apaisé leur envie de vengeance et leur haine (c’est déjà ça). Mais concernant les relations (de manière générale) c’est à nouveau très ambivalent. Que ce soit vis-à-vis des gens « d’en bas » ou vis-à-vis des gens de manière générale (ceux qui ne sont pas de leur milieu d’origine donc) il y a à la fois une envie d’ouverture et de partage d’un côté ; et un rejet de l’autre. Si on est un peu plus précis, Ademo va plutôt dire qu’il veut aller vers les autres mais que ces derniers le rejettent. Tandis que NOS va plutôt dire que c’est lui qui rejette les autres :


Comme j’aimerais leur tendre la main, mais ces sauvages me la couperaient


J’ai envie d’amour mais ça s’achète pas

Quand j’en donne, c’est gratuit, ces bâtards me le rendent pas


J’essaie de m’adoucir mais l’humain me rend noir

Il reste quelques gens bien, je garde espoir


Ils se rappellent de moi car j’suis plus dans l’noir

Moi j’veux plus les voir, car depuis que je suis plus dans l’noir, Igo je vois


Bien qu’ils expriment avoir envie d’aller vers les autres, ou leur espoir de changement, le constat est pour le moment sans appel. Que cela vienne d’eux ou des autres, la rencontre et le partage ne sont pour le moment pas possibles. Leur stratégie est alors de resserrer encore plus le lien familial. Ici, l’amour qu’ils se témoignent l’un à l’autre, ou à leur père atteint un niveau inédit.


J’ai grandi dans l’zoo, je suivais les cris dans la jungle, les pas de grand frère

Papa nous a cognés tête contre tête, nous a dit : j’veux un amour en fer

J’veux personne entre vous, même pas moi, même pas les anges de l’enfer

Donc j’ai aimé mon frère plus que ma vie, comme me l’a appris mon père

Chaque rêve, chaque cauchemar, chaque ennemi, chaque euro, partagés

Et à part le nombre de cicatrices, rien ne va changer

Dans le même miroir on s’est regardés

Dans les mêmes trous noirs on s’est égarés (…)

Tout ce que je prends, je te le donne, un peu comme ma vie

Y’a que toi qui sais ce que je vis, y’a que moi qui sais ce que tu vis


J’pense pas à toi qu’une fois sur deux, j’ai pas pu être riche avant

Baba, pour ton sourire je donnerai ma vie et peut-être même ma place au Paradis (…)

J’suis pas trop aimé, mais tant que toi tu m’aimes, leurs faux sourires je les vois (…)

Sur l’épaule j’ai le Zoulou pour pas oublier que j’tiens d’un roi

Ce monde serait moche sans toi et je refuse le Paradis si t’y es pas (…)

J’t’aime, j’taime, j’taime, je rêve d’effacer tes cicatrices

Et pour sauver le monde entier, je donnerai pas un grain de ta vie


Encore une nouveauté, eux qui revendiquaient le fait de vivre pour leur famille comme leur plus grande fierté vont pour la première fois émettre des réserves. Ademo va à plusieurs reprises témoigner d’avoir sacrifié sa vie pour les autres allant jusqu’à questionner ses choix et les associer à son incapacité à être heureux. NOS lui va pour la seule et unique fois reprocher à son père de ne pas l’avoir assez aimé et faire un parallèle avec ses propres incapacités à aimer les autres et être heureux avec eux.


Je me suis détruit en construisant l’avenir des miens

Je me remets en question avec des larmes dans mon vin


Igo je pense aux autres c’est peut-être ce qui me tue

Je pense peu à moi, mon bonheur est têtu


Mes sentiments sont glacés, ralentis, incompréhensibles

Quelques « je t’aime » de plus m’auraient rendu invincible

Mais ta haine pour ce monde est plus forte que ton amour pour moi


Malgré leurs (nouvelles) réticences, ils décident quand-même de rester « QLF » et de ne vivre que pour leur famille. Cela pouvant surement s’expliquer du fait que ce sont les seules personnes qui les ont aimés de façon inconditionnelle, quand il étaient « en bas » et que ce sont les seules qui sont là pour eux encore aujourd’hui et vers qui ils peuvent se tourner.


Je suis N’da, je suis Que La Famille, je leur donnerai ma vie sans pousser un cri


Pour leur bonheur, qu’est-ce que je pourrais pas te faire

Faut pas m’en vouloir, je les aime plus que la Terre


J’me déconnecte de ce monde, j’revis, le sourire des miens me suffit


Cette dernière phrase introduit leur issue de secours. La résolution de tous ces conflits que j’ai décortiqués dans chaque album. Car face à l’impasse qu’ils décrivent, quelle solution leur reste-t-il ?


Plusieurs chercheurs en psychologie de la socialisation se sont penchés sur la question des stratégies qui peuvent être adoptées par le sujet face à un tel conflit identitaire.

Certains auteurs (Berger et Luckmann) pensent que le sujet va privilégier le choix de la socialisation primaire (donc celle d’origine) ou dans de rares cas, dans un processus de socialisation de « conversion » se re-socialiser en effaçant le monde antérieur pour adopter le nouveau.

Selon Malrieu, le sujet va pouvoir, grâce au processus de personnalisation, dépasser le conflit en décidant de ce qu’il veut garder et rejeter de ses différents milieux de socialisation, afin de créer son propre système de normes et de valeurs. Il précise également que la socialisation « biographique » peut permettre au sujet d’objectiver le conflit en interrogeant ses conditions d’existence. Par une activité autobiographique il va alors pouvoir donner du sens aux différentes expériences vécues et orienter son identité à partir de ses réussites et échecs.


C’est clairement ce qu’ont fait PNL avec leurs albums et c’est ce qui nous permet d’appréhender leur construction identitaire.

Mais alors quelle stratégie ont-ils adoptée ? Eh bien ils font le choix de quitter la scène et de revenir à leur milieu d’origine. Leurs paroles semblent confirmer les dires de Berger et Luckmann qui indiquaient que la socialisation primaire est la plus forte car c'est la première et la plus formatrice et que le sujet va y rester fidèle.

Tout au long de l’album ils expriment le fait que les éléments qu’ils ont voulu rejeter sont en fait ceux qui ont façonné leur identité et qui définissent encore qui ils sont.


Je serais pas le même sans les miens ou sans le noir


Revenir là où tout a commencé


J’suis tellement du bâtiment, tellement de la rue, tellement du hall


Et toi, tu sauras jamais qui je suis

Moi-même j’aurai du mal toute ma vie donc j’aurai besoin de revenir ici


NOS dit même : « Ma vie me manque » pour appuyer le fait que ce n’est pas tant qu’il a changé de vie, mais qu’il a perdu sa vie, la vraie.


Symboliquement ils décident de renoncer à ce qu’ils ont obtenu, ce dont ils rêvaient avant, comme pour revenir au point de départ.


Au début ils disaient vouloir sortir de leur quartier, aller vivre au bord de la mer et maintenant :


Toujours dans mon 91


Je rêve toujours de cette maison sur la mer


Ils ont maintenant les moyens de s’offrir leur maison sur la mer mais ils choisissent de rester dans leur quartier dans le 91 et de continuer à avoir les mêmes rêves qu’avant, NOS dit en ce sens :


Y’a que les cafards et mes rêves qui resteront


Autre symbole, au début ils disaient vouloir s’habiller en Louis Vuitton et en Gucci quand ils seraient riches et maintenant qu’ils le sont :


J’pense plus à Gucci pour me vêtir


Leur choix de revenir à leur « vie d’avant », ou leur vraie vie est synthétisé de manière symbolique dans le titre qui clôture l’album : La misère est si belle. Comme le titre l’indique, leur solution est de revenir à leur milieu d’origine en tentant de se le réapproprier et en changeant les perceptions négatives qu’ils en avaient avant.


J’traine dans la rue parce que je l’aime depuis que je l’ai tée-qui (…)

Tu sais qu’est-ce que j’aime ? Ce qui nous ressemble

Parce que la peine et la haine nous rassemblent (…)

Si j’partage ma douleur, je le ferai avec mes démons

Ils comprennent mon côté sombre


Ce pauvre est si moche, je le trouve beau

T’façon la misère est si belle

Toute l’année je les aime

Je rêve d’un avenir heureux pour eux

Car au fond, sourire nous va à merveille


Chacun va conclure sa « partie » de façon à bien marquer la direction qu’ils prennent et vers qui ils se tournent.

NOS conclut son couplet avec un touchant « Je veux moins de monde, plus de ceux que j’aime ».

Et Ademo conclut le titre (et l’album) par une série de mots qui les définissent, tous entourés de la phrase « La misère est si belle », répétée comme un mantra :


« D5, D4, RER D, RER C, Ivry, Corbeil, Paname, Bat’C, Nabil, Karim, Coco, Moaki, mes cafards, ma cave, mon hall, mon toit triste, Baba, Habiba, à ma vie »


Si ce titre peut sonner comme un adieu (NOS prévient d’ailleurs dans le premier titre : « c’est peut-être mon dernier album »), leur carrière est-elle véritablement finie ? Personne ne peut avoir la réponse, ils n’ont jamais, et n’accorderont jamais, la moindre interview et ils ont disparu depuis maintenant 4ans. On pourrait penser qu’ils n’ont maintenant plus rien à raconter, que le conte de leur vie et de leur ascension s’arrête ici… Comme de nombreux fans, je suis partagée entre le fait de savourer leur œuvre parfaite et complète, à laquelle il ne faudrait plus toucher par peur de l’abimer et qui aura marqué à vie notre génération et la musique en France. Et l’envie égoïste d’écouter un nouvel album, n’en pouvant plus de toujours écouter les quatre qu’ils ont sorti en boucle et tant j’ai l’impression qu’aucun artiste n’arrivera à me faire ressentir ce que je ressens en les écoutant. Si jamais, comme les rumeurs le disent, ils reviennent en 2023, je suis prête à m’enfermer dans ma chambre pour écouter et décrypter chaque son et, peut-être, venir compléter cette analyse… Et si jamais leur chemin dans le rap s’arrête là, salam les deux frères, en espérant que vous ayez trouvé la paix, l’amour et le sourire. Merci pour la musique, merci pour votre histoire, merci pour l’inspiration, merci pour les émotions, merci pour tout, vraiment…

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