top of page
  • Lucile

Orelsan (part 4) - Le stade de la maturité - Civilisation

Trois années se sont écoulées depuis la réédition de « La fête est finie » quand Orelsan annonce son nouvel album « Civilisation ».

Orelsan (qui a maintenant 39ans) semble enfin être heureux. L’introduction « Shonen » vient confirmer que son état d’esprit n’a pas changé depuis « Epilogue ». Il savoure sa vie :


New-York la salle est pleine, Tokyo la salle est pleine

Paris merci, merci, j’pose un Bercy sur toute la semaine


Il va même se montrer reconnaissant des difficultés passées et y trouver un sens :


Merci mes ex, merci pour le crash test

J’apprécierais moins ce que j’ai sans votre aide

Merci de m’avoir tej, j’veux dire vraiment, j’veux dire

J’aurais pas changé si vous m’aviez pas dit d’le faire


J’parle de mes défaites parce qu’on apprend seulement dans l’échec

Orel et Gringe, Ablaye et Skread

J’aimais pas le jeu, j’ai changé les règles


En plus, les quelques chansons où il parle de lui se concluent sur les phrases suivantes :


Maman est là, mon père est fier, l’univers est pas si mal


C’est fou je travaille tout le temps mais c’est les vacances dans ma tête

Faut croire que la vie est belle, je vais pas te cacher que la vie est belle


Je dis les « quelques » chansons car dans un interlude il dit : « J’ai fait un album qui parle que de ma meuf et de la société ». Et effectivement, ces deux thématiques sont centrales dans son album. Si on avait déjà entendu parler de sa meuf dans le projet précédent, pour ce qui est de la société, Orelsan s’aventure en terrain inconnu.

Dans l’analyse précédente, j’avais parlé du stade de Générativité (qui correspond au sujet pleinement adulte) dans lequel le sujet veut rendre le monde meilleur pour la génération suivante au-delà de son propre développement. Ce stade semble maintenant atteint pour plusieurs raisons. Déjà car son identité semble enfin être trouvée et « stable » (donc le stade précédent du jeune adulte est terminé). Mais aussi car maintenant qu’il va bien, il peut enfin se décentrer de lui-même et se préoccuper des autres.

Il se rend alors compte que, globalement, les autres vont mal. Il consacre plusieurs titres à décrire leurs problèmes, les injustices qu’ils subissent.


Jongler entre un gamin et un SMIC c’est tout un art, faut entrer en mode survie

Ça prend du temps et de l’énergie d’être fauchée

Devoir gérer un budget au centime près

Etre prisonnier du stress, la menace des huissiers derrière la tête

Les découverts, les dettes, la peur de la boîte aux lettres

Elle me dit que sa vie n’était déjà pas parfaite

Mais qu’en plus maintenant elle doit s’inquiéter pour la retraite


Regarde l’incompréhension saisir ceux qui voient leur foi dénigrée sans qu’ils aient rien demandé

Regarde le désespoir leur faire prendre des risques pour survivre là où on les a tous entassés

Ecoute la panique les pousser à crier que la Terre meurt et personne en a rien à branler


J’me sers un toast avec une grosse crevette

Péchée par un chalutier à l’Est de Madagascar

Qui détruit la barrière de corail sur son passage

Qui fait que les pêcheurs ont plus de travail

Ils ramènent rien aux villageois, qui ont plus rien à graille

Vu que leurs crevettes sont devant moi


Comme il l’a dit lui-même, il parle aussi beaucoup de sa meuf. Mais le discours a changé, il porte un regard plus réaliste sur son couple. Il constate que la relation n’est pas si idéale que ça, en grande partie par sa faute. Encore une fois il se décentre de ses ressentis personnels pour prendre en compte ses ressentis à elle, il reconnait ses erreurs et promet du changement.

Et pour la première fois il lui écrit une chanson pour la mettre sur le devant de la scène, il ne s’agit plus (comme avant) de décrire à quel point il l’aime mais d’expliquer pourquoi il l’aime et donc de parler d’elle plutôt que de lui :


Sensible, de mauvaise humeur, je parle mal

C’est toujours la faute de la fatigue

Oublie les vacances, je sais pas

On peut rien prévoir, ta vie est calée sur mon planning

J’fais tout passer sous prétexte que j’suis un artiste


J’te promets d’avoir des doutes

Parce que douter c’est le contraire de s’en foutre (…)

Maintenant que je sais que je pourrais te perdre

Je ferai de mon mieux pour te garder

C’est normal si tu t’inquiètes

L’amour n’est pas parfait quand il est vrai


Parce que t’as su rester la même, tu m’as sauvé de tellement de mauvais choix

Parce que je sais que tu te sous-estimes, tu ris trop fort et la pièce s’illumine

Tu fais des concessions sans les souligner, héroïne de tous les dessins animés (…)

Et dès fois je suis stupide, j’oublie de te dire l’essentiel

Je sais que tu doutes de toi-même, t’as peur d’être normale, t’as peur d’être moyenne

Mais t’es pas dans le public, cette fois t’es sur la scène


Orelsan se préoccupe donc enfin des ressentis des autres plutôt que des siens et agit en conséquence, le stade de générativité est donc atteint, mais cette fois il est allé au-delà. Lui qui avait mis si longtemps à sortir de l’adolescence, on dirait bien qu’il a réussi à atteindre le dernier stade : celui « d’Intégrité ». Dans ce stade, l’adulte fait la synthèse des savoirs accumulés des étapes précédentes. Le sujet qui a été actif et qui a su s’adapter aux réussites et aux échecs peut donc en tirer des leçons.

Orelsan fait cela tout au long de l’album et particulièrement dans « Jour meilleur ». Il se sert de ses difficultés et phases dépressives passées, ici encore pour conseiller quelqu’un qui ferait une dépression. Il continue donc toujours dans sa lancée de se servir de ses apprentissages pour aider les autres, caractéristiques propres aux 2 stades « adultes », celui de Générativité et d’Intégrité.


Dis-toi que tu pourras compter sur moi le temps que ça dure (…)

Les nuits sont noires, tout le monde t’as abandonné, même la lune

Mais la fin du désert se cache peut-être derrière chaque dune

Tout va s’arranger, c’est faux, je sais que tu sais

Quand t’as le désert à traverser, y’a rien à faire sauf d’avancer


Il est aussi assez drôle de voir Orelsan bien prendre à cœur son rôle d’adulte moralisateur, notamment vis-à-vis de l’alcool, alors que lui-même glorifiait le fait de « boire de l’alcool fort de basse qualité » et parlait du fait de boire comme son passe-temps favori. Il met maintenant les autres en garde sur les dangers de l’alcool :


Les parents picolent, c’est les enfants qui trinquent

Accidents de bagnole, violences conjugales

L’alcool est toujours à la racine du mal

Rien ne remplit plus l’hôpital et le tribunal

On assume pas d’être alcooliques, c’est relou d’en dire du mal


Dans ce dernier stade, l’adulte accepte également son cycle de vie unique qu’il ne peut changer et en fait un tout satisfaisant auquel il donne du sens. Si l’album précédent était teinté de nostalgie et d’une envie de revenir aux débuts, ici Orelsan accepte enfin son cycle de vie de manière définitive.


J’ai pas fait que des choses dont je suis fier

J’veux devenir meilleur, je peux pas revenir en arrière

J’étais tout seul, on est des milliers, bientôt vous allez tous m’oublier

Désolé mais je vais devoir vous quitter

Dis-toi seulement qu’on a kiffé

Hier c’était hier, aujourd’hui j’efface les dettes

J’échangerais pas ce que j’ai contre la jeunesse éternelle

On a fait ce qu’on a fait comme on l’a fait, mais on l’a fait hein


En résumé, Orelsan accepte enfin son parcours et apprécie sa vie. Mais ce qui l’inquiète maintenant c’est donc le monde dans lequel on vit, les souffrances d’autrui et c’est sur ça qu’il décide de clôturer l’album. Si il l’a principalement consacré à décrire différents problèmes, l’outro servira à chercher comment les résoudre. Il tente alors de rassembler autour de lui et appelle à ce que tous ensemble, on essaie de s’unir pour construire le monde meilleur qu’on veut pour demain, une nouvelle civilisation.


Faut qu’on brise ce putain de cercle

Il est vicieux ce putain de cercle

Je peux pas le faire tout seul, faut que tu m’aides


Traite moi comme tu voudrais que je te traites

Réussir sans faire le bien, c’est perdre (…)

Faut qu’on soit meilleurs que nos parents, faut qu’on apprenne à désapprendre

J’veux pas croire que le temps est à vendre, qu’on soit juste une valeur marchande

Avant je rêvais de quitter la France, je vais rester, je préfère qu’on la change

Mélange vielles et nouvelles croyances, mélange humanisme à la science

Evidemment c’est plus comme avant, faut te faire une raison, c’est le concept du temps

J’essaie d’avoir une civilisation, je peux pas le faire tout seul, va falloir qu’on le fasse ensemble


Cette fin pourrait à nouveau magnifiquement clôturer l’album mais….


Il y a encore des choses à dire, des pages à tourner, un cycle à terminer, une vraie conclusion à trouver, et pour ça il va avoir besoin d’une nouvelle réédition qu’il sort quelques mois plus tard : « Civilisation perdue ».

Ce titre vous évoque quelque chose ? Cela fait écho au nom de son premier album. Et oui, Orelsan a conclu son dernier album, son dernier stade d’adulte, mais pas encore l’ensemble de son œuvre et de son parcours de vie.


Cette réédition est, en grande partie, une version « rap » des titres de « Civilisation ».

Mais cette réédition ne consiste pas uniquement à faire plaisir à ses fans de rap qui trouveraient son album un peu trop « variété française ». Dans l’intro il explique son objectif :


J’essaie de boucler la boucle


Il en profite également pour expliquer les significations des couleurs du drapeau de sa civilisation :




Vert parce qu’on va se faire rattraper par la Terre

Noir pour les erreurs qu’on a fait et qu’on va faire

Bleu et rouge parce que je me base sur mon pays

J’enlève le blanc, pour évoluer des fois faut détruire

Shuriken parce que c’est stylé, parce qu’il faut savoir kiffer

Pour se défendre, mais ça reste une étoile donc on peut prier

Un damier, comme ça tout le monde peut se l’approprier

J’étais tout seul, on est des milliers





Dans cette réédition, il va également appuyer les propos de l’album original, notamment sur son deuil du passé :


Tout était flou, maintenant c’est clair

Laissons le passé dans le passé


Ou encore en continuant de s’appuyer sur son expérience et ses échecs passés pour donner des conseils aux autres :


La route est longue, elle est sinueuse, tu vas tomber, faudra se relever

Vie rapide, tu seras plus vite vieux, le secret c’est qu’il y a pas de secret

Y’aura des requins, des démons, des sirènes

Y’aura des fautes, des trahisons, des migraines

Y’a pas de cheat code, crois pas leur arnaque

Que du travail, un peu de chance et du karma

Même le bonheur c’est sympa mais c’est pas stable

C’est juste une pause entre deux trucs qui se passent mal


Mais comme il le dit lui-même, il vient surtout boucler la boucle. Pour cela, il va, sur le dernier titre, clôturer toute son œuvre, sa carrière, son parcours de vie :


La première fois que j’ai vu la scène éclairée dans le noir

J’avais du mal à croire que cette fois c’était pour moi

J’suis monté sur scène et le micro marchait pas

Depuis je chante comme s’il pouvait s’éteindre à jamais

Et dire qu’à la base j’assumais même pas de rapper

J’pensais rien faire d’autre que des freestyle en soirée

Y’a des endroits ou t’oses même pas avoir des rêves

Et un jour tu rencontres quelqu’un comme Skread

Il m’a dit : tout est possible, faut juste un plan

C’était y’a 20 ans, quand j’y repense maintenant


J’repense au stress, je repense aux doutes

A ceux qu’on a perdus en route

J’repense aux fois où j’ai failli lâcher

Tu sais je suis pas du genre à m’enflammer mais…

ON A GAGNE !!!! On l’a fait, on l’a fait, on l’a fait


C’est grâce à vous mais c’est grâce à moi

Regarde les larmes de joie

A ceux qui me soutenaient même quand moi j’y croyais pas

C’est pour les filles du 1er rang qui connaissent mes paroles mieux que moi

Pour mes premiers fans sans qui je serais jamais là

C’est pour Skread, Ablaye, Clem, ma famille, Ahélya (…)

On est tellement nombreux, j’suis sûr d’en oublier

J’étais tout seul, on est des milliers

On l’a fait, on l’a fait, on l’a fait


Et ainsi se termine le récit du parcours d’Orelsan…


Ca y est, il a enfin réussi, il a fait ce qu’il l’a fait comme il a fait mais il l’a fait hein,

Il l’a fait et la boucle est enfin bouclée.

Il était tout seul, on est des milliers.

Merci Orel, on a bien kiffé et c’était vraiment chouette de grandir à tes côtés…

bottom of page