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  • Lucile

Orelsan (part 2) - La difficile transition du jeune adulte - Le chant des sirènes

Je désamorce tout de suite pour le potentiel lecteur qui connaîtrait la carrière d’Orelsan, non je ne parlerai pas ici de la polémique qu’a fait son premier album et je ne mentionnerai pas les paroles qui y font allusion. Tout simplement car je garde ça pour une prochaine thématique liée à l’identité professionnelle…


Dans cet album, Orelsan est en pleine transition, entre la sortie de l’adolescence, la jeunesse vécue et âge adulte qui arrive. Ce qui correspond au stade 6 de la théorie d’Erikson, intitulé « Intimité / Isolation » dans lequel le sujet est considéré comme un « jeune adulte ». Quels processus sont en jeu dans ce stade?

Dans cette étape de vie, le sujet doit apprendre à faire preuve d’intimité, sans pour autant perdre de vue son identité. Il faut être capable de partager ses pensées et sentiments avec ses proches, prendre ses responsabilités, accepter les compromis.


Seulement voilà, ici encore, Orelsan est en pleine ambivalence. Au niveau des relations amoureuses, c’est carrément chaotique. Orelsan commence par indiquer vouloir se poser dans une relation sérieuse, partager une relation authentique et profonde avec quelqu’un :


J’ai enfin trouvé une meuf avec qui je pourrai faire un truc sérieux

J’crois qu’elle est spéciale, j’crois que je commence à me faire vieux

C’est pas vraiment la fille de mes rêves et c’est peut-être mieux

Elle est simple, elle est belle, elle est bien réelle


Mais il raconte également qu’il est incapable d’être fidèle. Ce qui détruit son couple, lui fait regretter ses actions et le rend malheureux :


Pourquoi tous les bons souvenirs ne m’empêchaient pas d’assouvir mes envies malsaines ?

Tous les matins sont pires que la veille, seul depuis des mois, aucun appel

Mais je savais que j’allais perdre ce jeu

Comme si j’en avais marre d’être heureux (…)

Des jours entiers, tourmenté, les yeux fixés sur le plafond

Laisse-moi tout changer, j’ai compris la leçon

J’tourne en rond, j’tourne en rond, j’tourne en rond, je m’enfonce complètement

Je donnerais tout ce que j’ai contre une machine à remonter le temps


Erikson explique que la relation intime du couple doit permettre d’apprendre à prendre soin d’une autre personne tout en restant soi. De plus, une sexualité satisfaisante suppose de ne pas être obsédante.

Encore une fois, Orelsan se désole de ses incapacités à combiner une vie amoureuse et sexuelle satisfaisantes et à maintenir son identité :


J’suis torturé, attiré par mon côté obscur

Le sexe est une drogue dure

J’arrêterai bien les aventures nocturnes

Mais je trouve toujours une excuse pour faire un nouveau truc tordu

C’est hardcore, j’suis même plus jaloux

J’vois même plus le rapport entre la baise et l’amour


Concernant ses amitiés proches, on sent encore qu’il est en pleine transition. Il consacre en effet deux chansons à parler de ses amis. Dans la première, il décrit un mode de vie d’adolescent qu’il continue de vivre et d’apprécier :


- T’as essayé de m’appeler ?

- Ouais on a fait quoi hier ? Je me rappelle de rien

- Rien de spécial, on était déchirés, t’as dormi chez la meuf là ?

- Ouais c’est qui ?

- Une meuf qui était chez Simon. D’ailleurs t’aurais jamais du fumer sur sa weed tu sais qu’il la charge à mort

- Ah ouais j’ai fumé ? Je devais vraiment être bourré (…)

- Tu fais quoi là ?

- Là je rentre chez moi

- Ok parce que ce soir on sort c’est l’anniv de Bouteille, on se retrouve à 19h ?

- Ok vas-y je fais une sieste et j’arrive


Mais dans une autre chanson, symboliquement appelée « La morale », il se remet en question puis essaie de faire comprendre à son ami que ce mode de vie n’est pas durable et qu’ils doivent se ressaisir :


Le soir j’me sauvais par la fenêtre de ma chambre

Pour aller descendre des bières dans la caisse de ta tante

On était les maîtres de la glande

Comme si la Terre nous devait quelque chose, faudrait peut-être qu’on arrête de l’attendre

Que t’arrête de l’attendre et qu’on se tire autre part

Faire partie des connards moyens c’était notre pire cauchemar

On perdait notre temps à fuir l’avenir

Tirer des plans sur la comète c’est plus facile quand on vit la nuit

Tu voulais devenir Basketteur et tu t’es découragé quand t’as compris que t’étais pas le meilleur

Un peu comme le reste, maintenant tu cherches ta jeunesse, face à tes peurs

Sur une montagne d’erreurs


Soyons clairs, dans ce passage Orelsan parle autant de son ami que de lui-même. Et pas que dans les passages où il utilise le « on » mais également quand il parle en disant « tu ». Il donne de réels conseils à son ami mais en profite pour s’en donner à lui-même et se remettre en question. Cela se confirme d’autant plus qu’il confiera plus tard dans d’autres albums qu’il avait pour projet initial d’être basketteur mais qu’il a rapidement abandonné en voyant d’autres personnes êtres meilleurs que lui.


Notons également au passage que même s’il a choisi de faire une carrière dans le rap, il rejette la célébrité (alors qu’il souhaite avoir un large public).


Des bises, des poignées de main, des sourires hypocrites

Reprends une bouteille, les deux premières sont parties trop vite

Sous champagne, personne écoute, mais les gens parlent

Dis-moi qui tu connais, je te dirai si t’es fréquentable


Où sont passées les sirènes ?

Regarde autour de moi tous ces gens remplis de haine

Après l’ivresse vient la migraine

Au final, je crois que je me suis fait bouffer par le système


Et il va même ironiquement déclarer :


Enfermé chez moi, les volets tirés

J’essaie d’écrire des chansons mais j’ai l’inspiration de la rédaction d’un CP

J’suis pressé d’arrêter, trouver du taff alimentaire

Elever des gosses insupportables, vieillir, mourir, me faire enterrer


Même si c’est dit sur le ton de l’humour, en fond on devine un certain discours d’insatisfaction éternelle. Peu importe ce qu’il fera, il ne sera jamais pleinement épanoui. Comme si son identité était impossible à construire et/ou à stabiliser. On pourrait résumer cet album par la phrase suivante :


Comme si je marchais sur un fil, entre le jour et la nuit


Comme je disais précédemment, il est bien normal qu’Orelsan soit ambivalent, qu’il ne sache pas encore bien se positionner car il est en pleine transition entre le statut d’adolescent, celui de jeune et celui d’adulte. En effet le passage d’un statut à un autre ne se fait pas d’une manière mécanique. D’ailleurs certains auteurs comme Gaudet (2007) ou Van de Velde (2008) expliquent qu’il s’agit d’un processus de « devenir adulte ». Ce processus se joue dans une période de « transition » entre l’adolescence et la jeunesse, la jeunesse et l’âge adulte. Ce processus est long, marqué par des allers-retours et il est difficile d’en marquer le début et la fin. En résumé, c’est une période d’exploration, de quête identitaire mais également une quête d’autonomie et de stabilité.

Dans cet album, Orelsan se cherche encore. Il est dans cette période de « jeunesse » où on est plus vraiment adolescent, mais pas encore totalement adulte. Il est en train de devenir adulte, lentement, à son rythme, en expérimentant et en ayant des retours réflexifs sur lui-même.


Pour revenir (et conclure) sur Erikson, quand l’intimité n’est pas atteinte, l’individu a un sentiment d’isolation, il reste seul et craint de perdre son identité :


J’attends pas grand-chose de spécial

Les jours passent et se ressemblent un peu

Tout le temps la tête dans les étoiles

Des tonnes de personnes défilent sous mes yeux

Pourtant je me sens si seul


Souvent absent, j’ai la tête ailleurs

J’m’entends parler sans conviction, comme si j’me voyais de l’extérieur


L’album se clôt sur un titre introspectif dans lequel il se confie sur sa peur de la mort et du fait qu’il trouve que la vie n’a pas de sens vu qu’on va tous mourir un jour :


Souvent la froideur de la vérité vient m’embrasser

Rien n’a de sens, on ne peut que regarder le temps passer

Tout parait absurde, presque ironique

Vivre d’une manière carrée comme si mourir était la suite logique (…)

Y’aura pas de tunnel, pas de lumière, pas de rivière, pas d’ange après qu’elle t’emmène

Et pourtant elle viendra quand-même


En résumé, Orelsan ne trouve donc pas encore de sens à sa vie. Car oui malgré son âge (29 ans au moment de la sortie de l’album), il est encore en pleine période de transition dans son processus de « devenir adulte ». Donc toujours en quête identitaire et de stabilité, que ce soit dans ses relations (amoureuses, familiales, amicales), dans son travail, dans sa vie de manière générale.

Mais le récit de son passage à l’âge adulte continue dans le prochain album et la prochaine analyse…

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