top of page
  • Lucile

Orelsan (part 1) - L'adolescence - Perdu d'avance

Si on peut retenir une thématique majeure de l’œuvre d’Orelsan, c’est celle du passage à l’âge adulte. Entre son premier et son quatrième (et dernier ?) album, douze années se sont écoulées pendant lesquelles nous l’avons vu grandir, d’album en album.

Ce passage à l’âge adulte a été compliqué pour lui qui s’est toujours senti en décalage (le premier album « Perdu d’avance » décrit sa vie comparable à celle d’un adolescent alors qu’il a 26ans). Tout au long de sa carrière son âge, ou son rapport au temps qui passe, sont au cœur de ses préoccupations. Une angoisse de ne pas grandir et celle de vieillir qui se succèdent, parfois s’opposent.


Orelsan, syndrome de Peter Pan


Bientôt dix piges que j’ai plus 20ans


Vieillir me fait vraiment flipper


Hier j’avais 15ans, j’ai du mal à croire qu’on soit déjà maintenant


Pour ces analyses je vais principalement m’appuyer sur la théorie du développement psychosocial d’Erikson et sur la thèse de Côté (2015) qui présente cette théorie et les stades de passage à l’âge adulte.


Sommaire de cette thématique en quatre parties :


Première partie : L’adolescence – Illustration avec l’album « Perdu d’avance »

Deuxième partie : La transition Jeunesse/Adulte – Illustration avec « Le chant des sirènes »

Troisième partie : Devenir adulte – Illustration avec « La fête est finie »

Quatrième partie : Le stade de la maturité – Illustration avec « Civilisation »


Partie I – L’adolescence – Illustration avec « Perdu d’avance »


Si on pouvait résumer la pensée d’Orelsan en une phrase illustrative de l’album ça serait :


J’suis perdu d’avance, dans le rap, dans le taff, dans la vie, avec les filles


Malgré ses 26ans environ (Il a travaillé sur cet album de ses 25 à ses 27 ans), Orelsan décrit un mode de vie adolescent :


Bientôt 26 ans, en pleine crise d’adolescence


Tu vis dans les dessins animés, les BD


Mes hobbies c’est sortir et boire de l’alcool fort de basse qualité


Erikson est un psychologue qui a travaillé à définir les différentes étapes d’évolution tout au long de la vie, en huit stades. Si l’on rattache la description qu’Orelsan fait de sa vie dans cet album aux stades d’Erikson, cela renvoie au stade 5 de l’adolescence « Identité et confusion de rôle ». On pourrait croire qu’il a lu les travaux d’Erikson au moment d’écrire ses textes tellement ils en sont illustratifs.

En effet, lors de ce stade se joue le processus de quête identitaire. Seulement voilà, évoluer et grandir terrifie Orelsan. Selon Erikson, la préoccupation principale du sujet est la perception que les autres ont de lui.


L’impression d’être invisible, prêt à tout pour te faire remarquer


J’ai peur de mes proches parce qu’ils connaissent mes faiblesses

Ils me font confiance pour l’instant, mais quand je les décevrai

Ils seront près de moi, prêts à frapper les premiers

J’ai peur que mes parents me détestent


Erikson précise que pour trouver son identité, le sujet doit avoir le sentiment que l’image que les autres perçoivent de lui correspond à l’image qu’il a de lui-même. Alors du côté d’Orelsan, ça donne quoi ?


Eux croient qu’ils m’aiment, moi je crois qu’ils se voilent la face

J’crois qu’ils aiment celui qu’ils rêvent de voir à ma place

Parce qu’ils savent pas ce qui se passe derrière le masque

Ce qui se cache derrière l’image, parce qu’ils connaissent pas mon vrai visage


La quête identitaire passe également par le fait de définir ses valeurs et ses comportements à travers les différents rôles sociaux (étudiant, ami, membre de la famille, membre d’un groupe etc…). Là encore Orelsan se trouve en grande difficulté.


Au fond, j’m’en bats pas les couilles de ce que disent les gens

J’me perds entre ce qu’ils attendent de moi et ce que je suis vraiment


Ces lignes renvoient directement à celles de la chanson « J’essaye, j’essaye » qu’il a écrite 10ans plus tard pour son film « Comment c’est loin » dans lequel il retrace à nouveau son parcours de vie (oui cette thématique est obsessionnelle chez lui)


J’fais semblant d’écouter personne mais c’est seulement parce que j’ai peur de ce qu’ils disent de moi


Erikson résume enfin ce stade en indiquant que c’est une période d’incertitude quant au rôle d’adulte à venir. Durant cette période le sujet doit définir son identité en prenant en compte le passé, le présent et le futur, à ça Orelsan répond que :


Qu’est-ce qu’on s’en branle du futur quand on comprend pas le présent


Mais également en prenant en compte différentes sphères de vie : au niveau social, professionnel, sexuel. Mais si le sujet ne parvient pas à construire son identité, il développe alors une confusion de rôles. Selon Erikson le sujet peut alors :


1. Etre incapable de choisir une carrière


Orelsan est effectivement complétement perdu, entre un travail qu’il n’aime pas, mal payé, ennuyeux….


Un taff de merde qui pue la lassitude et la friture


J’remplis des taffs de merde en rêvant de remplir des salles


Y’a marqué « on te la met profond » entre les lignes de ma fiche de paye


…et le rap, qui lui apparait à l’époque comme un rêve qui ne se réalisera pas. Un rêve qui ne se réalisera pas car, à la fois il doute de ses capacités de réussite, à la fois il doute de son envie de poursuivre une carrière d’artiste :


Mes parents me demandent quand est-ce que je vais trouver un vrai boulot

J’sais pas, j’crois que je vais essayer d’échouer dans le monde du rap


T’attends le déclic qui te rendra riche et célèbre

Jusqu’à ce que la réalité vienne briser tes rêves


J’ai peur de jamais finir mon album, j’ai plus d’inspi

T’façon j’ai plus envie de devenir chanteur, j’ai plus 15 piges

La célébrité me fait peur

J’ai peur de me griller les ailes à vouloir briller sous les projecteurs


2. Avoir une difficulté à se lier aux autres comme des semblables


On vit pas dans le même monde, on est différents


3. Douter de ses convictions ou de sa place dans la société


J’m’implique dans rien, je suis venu sur Terre pour voir


Ta place est dans un canapé


4. Ne pas réussir à faire de choix et éviter l’engagement


J’perds mon temps à me poser des questions au lieu d’agir


J’ai triché sur mes sentiments en croyant rester vrai

J’ai esquivé l’amour par peur de me faire baiser, par lâcheté

Qu’est-ce que j’ai acquis ? Rien à part la peur de rester seul toute ma vie


Dans ce cas, le sujet peut, selon Erikson, s’identifier à des héros et perdre son identité. On tape encore dans le mille avec Orelsan qui a pour habitude de s’identifier à des super-héros, aux chevaliers du Zodiaque et qui écrit même ici une chanson où il se compare à Batman.


Je ferai le bien quand j’aurai des super-pouvoirs


Ton équipe c’est toi et les figurines de tes persos préférés


Mais le sujet peut également s’engager dans des groupes dits « anti-sociaux ». C’est un peu comme ça qu’Orelsan présente son groupe d’amis qui semble être un véritable refuge pour lui.


J’traine avec les mêmes losers qui prennent des substances illégales


On traine comme si on avait pas de but dans la vie


Je suis juste une tour de pise que mes potes soutiennent


En conclusion, Erikson indique que si le sujet parvient à définir son identité, il atteint un sentiment de bien-être, d’unicité et de satisfaction.


Quand-est-il donc du bien-être d’Orelsan qui est totalement perdu ? Comme beaucoup d’albums de rap, particulièrement ceux introspectifs, celui-ci s’écoute dans l’ordre. En effet les rappeurs travaillent souvent plusieurs années sur un album et ce dernier doit alors rendre compte de leur parcours et leur évolution pendant tout ce temps. Traditionnellement donc, l’album retranscrit une période de vie de l’artiste, la première chanson décrit l’état d’esprit du rappeur au début du projet, la dernière décrivant celui qu’il a à la fin. Et tout l’album raconte comment il en est arrivé à passer de l’un à l’autre, son évolution donc. Concernant ce premier album, Orelsan, décrit un mal-être, du début à la fin, qui n’évolue pas.


Dans le titre d’ouverture il écrit :


J’ai des pensées morbides

J’ai pas besoin d’un docteur, j’ai besoin d’un exorciste


J’voudrais dormir des années, je suis décalé

J’me lève quand la nuit tombe, à côte de mes pompes

Je regarde le monde se dégrader

Noyé dans la pénombre, je compte les secondes

J’voudrais déployer mes ailes, pouvoir rejoindre le ciel étoilé


Tout au long de l’album il lâche des phrases comme :


Dès fois je rappe, dès fois je fais des sons, dès fois une dépression


En fait j’ai juste envie d’arrêter de respirer


Et donc arrive le titre de clôture de l’album, dans lequel sa souffrance atteint son paroxysme


Plus je grandis, plus le temps passe et plus je suis déçu

Sous l’emprise de l’angoisse des futures blessures

Plus je me cherche des excuses, plus je m’enlise

Je m’enivre de négativité et je me sens vivre


J’me sens triste tout le temps, j’me sens vide

J’ai peur d’être normal, d’être moyen, je crois que je sers à rien


J’ai comme envie de sauter dans le vide, d’me passer la corde au cou, de me noyer

De m’entailler les veines du coude au poignet


Ainsi se clôture « Perdu d’avance », parmi les albums les plus introspectifs d’Orelsan et dans lequel toute une génération d’adolescents a trouvé un refuge. Mais un album qui va également changer sa vie, ne serait-ce que parce qu’il va lui permettre de trouver un public et de commencer sa nouvelle carrière de rappeur. Mais cela va-t-il lui suffire pour évoluer, se stabiliser et cesser de douter ? On voit ça dans la prochaine analyse !

bottom of page